Toute histoire a une genèse, la malédiction des filles Martin prend sans doute sa source dans un sombre pensionnat lyonnais, tenu par des sœurs au caractère acariâtre et qui prenaient un malin plaisir à terroriser les jeunes filles pensionnaires de leur établissement. Pensionnat où les filles Martin furent plus ou moins emprisonnées pendant toute leur adolescence. Emprisonnées était le terme employé par ma mère pour décrire leur séjour.
Nous sommes dans les années 50 et la France se remet doucement de l’occupation allemande. Le travail ne manque pas, mais les salaires sont très faibles pour les employés et les ouvriers attelés à reconstruire la France. Ma grand-mère vient de se remarier avec Henri, un publicitaire ambitieux qui veut mener la grande vie. Ils ont un fils et dorénavant, ils ont envie de recommencer leur vie à zéro. Cependant, que faire des 4 filles, ou plutôt de ce qu’ils devaient considérer comme 4 boulets et qui représentaient le passé avec Marius. Le prétexte fut vite trouvé : élever 4 filles dans ce petit appartement lyonnais coûtait bien trop cher et il existait un magnifique pensionnat où les 4 sœurs pourraient être élevées et apprendre en même temps leur métier : l’école ménagère. En 1950, la promesse d’une vie réussie était pour les femmes de trouver un bon mari travailleur et de pouvoir faire toutes les tâches ménagères dans les règles de l’art.
La décision était actée, les filles iraient au pensionnat et pourraient rentrer le week-end à la maison. Ceci fut vrai les premières semaines, mais rapidement, pour de sombres histoires logistiques, il fut convenu qu’il était mieux qu’elles restent au pensionnat et que désormais elles ne rentreraient plus que pour certaines vacances.
Les quatre sœurs vont vivre une forme de terreur et de frustration pendant de nombreuses années, rythmées par les cours, les corvées, les punitions et les prières.
Les sœurs ont un rituel : passer en pleine nuit dans les dortoirs et soulever d’un coup sec les couvertures des lits pour voir si les pensionnaires dorment bien les bras en croix. L’objectif étant d’éviter que seules dans leur drap, les demoiselles découvrent toutes les subtilités de leur corps. Sans doute que se retrouver à l’adolescence, au moment où tous les sens s’éveillent, constamment contrôlées, a engendré pour ces jeunes filles une frustration qui va se retrouver bien des années plus tard dans une sexualité débridée où braver l’interdit sera le moteur de leur vie.
Mais les sœurs ne s’arrêtent pas là, elles ont aussi un grenier lugubre, bien entendu sombre, sans lumière, dans lequel elles enferment les jeunes filles coupables de n’avoir pas su une leçon ou pire, d’avoir loupé une prière.
Une des sœurs Martin fut très souvent la principale locataire du grenier et c’était ma mère. En totale rébellion envers les sœurs, elle refusait systématiquement les corvées, les prières et s’opposait aux religieuses d’une manière effrontée qui provoquait à coup sûr le courroux des bonnes sœurs.
Les nuits s’enchaînaient dans ce grenier où les cauchemars hantaient les nuits de ma mère, mais rapidement elle commença à y prendre goût en se créant un monde imaginaire où les vieux chiffons devenaient des poupées, les malles des balançoires, les vieux matelas des lits de princesses.
Les week-end arrivaient et les sœurs regardaient partir les autres pensionnaires avec envie. Elles attendaient patiemment leur retour le lundi matin, où elles pourraient leur écouter leurs sorties au dancing, leur premier flirt et premiers émois. Les sœurs Martin écoutaient avec envie et cela ne faisait que renforcer leur frustration.
Tout a une fin et le pensionnat fut un jour fermé à la suite de plaintes d’anciennes élèves. Voilà donc les quatre sœurs de retour dans leur foyer avec plein d’espoir : la vie va pouvoir commencer.
La sortie du pensionnat fut rude pour les sœurs Martin. Loin de la vie idyllique qu’elles avaient tant souvent rêvée dans leurs dortoirs du pensionnat, elles se retrouvaient à faire exactement les mêmes corvées pour leur beau-père et leur demi-frère. Et toujours pas d’autorisation de sortie le week-end, uniquement le repassage, le ménage, la cuisine et supporter les attouchements et remarques vicieuses d’Henri sous la bienveillance de Camille. Mais voilà, ma mère va avoir 18 ans et fait quelques ménages dans une famille du quartier, ce qui lui permettra de gagner quelques francs. Elle décide de s’inscrire dans le cours de danse de la rue Paul Bert qu’elle a repéré depuis longtemps. Elle y rencontrera mon père. C’est « son » premier homme et la vie s’annonce merveilleuse. Mais un sombre événement va venir ternir cet idylle.
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Every story has a genesis, and the curse of the Martin girls likely originates in a gloomy boarding school in Lyon, run by ill-tempered nuns who took great pleasure in terrorizing the young girls boarding there. The Martin girls were more or less imprisoned there throughout their adolescence. « Imprisoned » was the word my mother used to describe their stay.
It’s the 1950s, and France is slowly recovering from the German occupation. Jobs are plentiful, but wages are very low for workers and employees helping to rebuild the country. My grandmother has just remarried Henri, an ambitious advertising executive with a taste for the high life. They have a son now, and they want to start their lives anew. But what to do with the four girls, or what they likely saw as four burdens, representing the past with Marius? The excuse was quickly found: raising four girls in that small Lyon apartment was too expensive, and there was a wonderful boarding school where the four sisters could be raised and trained at the same time in their future profession—housekeeping. In 1950, the promise of a successful life for women was to find a good working husband and master all household tasks to perfection.
The decision was made: the girls would go to the boarding school and could return home on weekends. This was true for the first few weeks, but soon, due to some obscure logistical reasons, it was decided that it would be better if they stayed at the boarding school and only returned home for certain holidays.
The four sisters would endure years of terror and frustration, dictated by classes, chores, punishments, and prayers. The nuns had a ritual: they would sneak into the dormitories in the middle of the night and abruptly pull back the covers to check if the girls were sleeping with their arms crossed. The goal was to prevent them from discovering the intricacies of their bodies while alone in their sheets. It’s likely that finding themselves in adolescence, at a time when all their senses were awakening, and being constantly controlled, created a frustration that would later manifest itself in a liberated sexuality where breaking the rules became the driving force of their lives.
But the nuns didn’t stop there; they also had a dark attic, naturally without any light, where they would lock up girls who had failed a lesson or, worse, missed a prayer.
One of the Martin sisters was a frequent resident of the attic, and that was my mother. In total rebellion against the nuns, she constantly refused chores, prayers, and opposed the sisters in a way that was sure to provoke their anger.
Night after night, she spent time in that attic, where nightmares haunted her, but she soon began to take comfort in it, creating an imaginary world where old rags became dolls, trunks turned into swings, and old mattresses transformed into princess beds.
Weekends came, and the sisters watched the other girls leave with envy. They waited patiently for their return on Monday mornings, when they would listen to stories of their outings to the dances, their first flirts, and first romantic thrills. The Martin sisters listened eagerly, and it only deepened their frustration.
Everything comes to an end, and one day the boarding school was closed following complaints from former students. The four sisters returned home, full of hope: life was about to begin.
But leaving the boarding school was a rude awakening for the Martin sisters. Far from the idyllic life they had often dreamed of in their dormitory, they found themselves doing the same chores for their stepfather and half-brother. Still no weekend outings—just ironing, cleaning, cooking, and enduring Henri’s groping and lewd comments under Camille’s watchful eye. But now my mother was turning 18 and had begun working as a cleaner for a family in the neighborhood, earning a few francs. She decided to enroll in the dance class on Rue Paul Bert, which she had long noticed. There, she met my father. He was her “first” man, and life seemed wonderful. But a dark event would soon cast a shadow over this idyllic love.