J’ai donc, grâce à mon voisin, découvert le rock anglais, notamment Deep Purple et son célèbre guitariste Ritchie Blackmore. À cette époque, et suite à l’échec de l’opération kibboutz, on m’a une nouvelle fois changé d’école. Me voilà en plein centre-ville de Lyon. Je pars très tôt de la maison, mais j’apprécie de traverser la presqu’île le matin, quand la ville s’éveille. Je me lève tous les matins vers 5 h afin de pratiquer cette sublime guitare que je me suis achetée. C’est plus qu’une passion, c’est une obsession. Je travaille mes gammes matin et soir, et je progresse de jour en jour. Mes parents regardent cela de loin, pensant que tant que je joue de la guitare, je ne suis pas dans la rue à traîner avec on ne sait qui. Cette passion me dévore ; je ne faisais déjà pas grand-chose d’autre, mais désormais je veux en faire mon métier.
On m’emmène un soir voir un conseiller d’orientation, car l’école ne sait plus trop quoi faire de moi. Le conseiller discute cinq minutes avec moi et un long moment avec mon père. Tout ce qu’ils peuvent dire ne m’intéresse pas, car de toute façon, mon métier sera : Ritchie Blackmore. On me réveille rapidement et le conseiller lance sa sentence : avec un papa ingénieur chez Renault, il faut que tu te diriges vers un CAP de mécanique. J’ai envie d’exploser de rire ; s’il savait que je serais un jour Ritchie…
Nous rentrons à la maison, et mon père, visiblement satisfait, entreprend de me montrer comment fonctionne un moteur. Je n’en retiens pas grand-chose et ça ne m’intéresse pas. Un rendez-vous a été pris rapidement dans une école de mécanique, et un petit miracle se produit. Le directeur de l’école fait comprendre à mes parents que, non, ce n’est pas pour moi. Ouf, je suis sauvé.
Je me suis toujours demandé pourquoi des parents qui ont un enfant avec une passion ne l’aiguillent pas dans le domaine de sa passion. Sans parler de devenir une star du rock, il était possible d’aller vers des métiers tournant dans l’univers de la musique plutôt que la mécanique.
Nouveaux changements d’école, et me voici dans un cours commercial, toujours en centre-ville, où je passerai plus de temps au cinéma que sur les bancs.
À cette époque, il est fréquent que je rentre en fin d’après-midi avant toute la maisonnée, et il m’arrive parfois de trouver une paire de lunettes d’homme abandonnée sur une table ou même le journal L’Équipe posé négligemment sur le canapé.
Petite précision : il ne s’agit pas des lunettes de mon père, ni de son journal.
Je me souviens de voir arriver ma mère en trombe, rentrer en courant dans la maison, se saisir des lunettes et téléphoner plus ou moins discrètement à Carlo pour lui signifier qu’elle avait bien tout retrouvé. Car oui, la voiture ne suffisait plus, et ils venaient se retrouver le midi dans le foyer familial.
La nuit, je dors très mal, car depuis tout petit, je fais des terreurs nocturnes. Chaque nuit, le rituel est immuable : je vois des personnes rentrer dans ma chambre pour m’enlever. Je hurle, je me débats, je jette affaires et meubles par terre, et souvent je suis réveillé par mon père qui allume brusquement la lumière. Ma chambre est parfois sens dessus dessous. J’en arrive à avoir peur de m’endormir, car ceci se répète toutes les nuits.
Je termine mes nuits généralement par un rêve que je refais toutes les nuits et que je continuerai à faire jusqu’à 23 ans. Je suis au bord d’une plage, une vague énorme arrive au loin, et je plonge dessous pour l’éviter. Le rouleau passe, je me relève et regarde la vague se casser sur le rivage. Mais au moment où je me crois sauvé, une deuxième vague arrive dans mon dos et m’écrase littéralement, je me noie.
J’ai fait ce rêve tous les jours pendant 20 ans jusqu’au jour où, travaillant au centre 15 (centre de régulation des appels d’urgence), alors que j’ai 23 ans, je discute de ce rêve avec une étudiante en médecine qui me lance : « Facile, tu symbolises ta mère par la mer, et cette vague qui t’étouffe laisse penser que tu as un problème à régler avec ta mère ! »
Ça me paraît tout à coup d’une évidence limpide, et brutalement, le soir même, je ne refais pas ce rêve et ne le referai plus jamais.
Est-ce de la psychologie à 2 euros ? Est-ce vrai ? Toujours est-il que l’explication m’a convenu et a réglé ce problème.
Thanks to my neighbor, I discovered English rock, particularly Deep Purple and their legendary guitarist, Ritchie Blackmore. Around that time, after the kibbutz experiment failed, I was transferred to another school. This time, I found myself in the heart of Lyon. I would leave home early, but I enjoyed crossing the Presqu’île in the morning as the city came to life. I started waking up at 5 a.m. every day to practice on the exquisite guitar I had bought. It wasn’t just a passion—it was an obsession. I practiced my scales morning and evening, making noticeable progress each day. My parents watched from a distance, reasoning that as long as I was playing guitar, I wasn’t out on the streets getting into trouble. This passion consumed me; I had already been disinterested in most other things, but now I was determined to make it my career.
One evening, I was taken to meet a career counselor because the school didn’t quite know what to do with me anymore. The counselor spoke to me for five minutes and then had a lengthy conversation with my father. Whatever they discussed didn’t interest me, because I knew my career path: Ritchie Blackmore.
Reality hit hard when the counselor delivered his verdict: with a father who’s an engineer at Renault, I should pursue a vocational diploma in mechanics. I wanted to burst out laughing—if only he knew that I was destined to become Ritchie someday.
We returned home, and my father, visibly pleased, started explaining how an engine works. I didn’t retain much of it; I wasn’t interested. A quick appointment was made with a vocational school, but then a small miracle occurred. The school director, after meeting me, explained to my parents that mechanics was clearly not my calling. Phew—I was saved.
I’ve always wondered why parents, when they see a child passionate about something, don’t encourage them to pursue it. Forget becoming a rock star—there were plenty of career paths in the music industry, but mechanics wasn’t one of them.
More school changes followed, and I ended up in a commercial course in the city center. I spent more time at the movies than on school benches.
Around that time, I often came home in the late afternoon before anyone else. Occasionally, I’d find a pair of men’s glasses left on a table or a copy of L’Équipe carelessly tossed on the couch.
To clarify: neither the glasses nor the newspaper belonged to my father.
I remember my mother rushing in, grabbing the glasses, and discreetly calling Carlo to reassure him that everything had been recovered. By then, their car meetings weren’t enough—they’d started meeting at our family home during lunch.
At night, I struggled to sleep because, ever since I was a child, I suffered from night terrors. Every night followed the same ritual: I’d see figures entering my room to take me away. I’d scream, thrash around, and often wake up to my father switching on the light. My room would sometimes be in complete disarray. I grew afraid to fall asleep, as this happened every single night.
I’d often end my nights with a recurring dream that lasted until I was 23 years old. I’d be standing on a beach, watching a massive wave approach in the distance. I’d dive under it to avoid being swept away. The wave would crash, and I’d stand back up, relieved to have survived. But just as I felt safe, another wave would hit me from behind, drowning me.
I had this dream every night for 20 years until one day, while working at an emergency call center at 23, I shared it with a medical student. She casually remarked, “That’s easy. You’re symbolizing your mother as the sea, and the wave that suffocates you suggests you have unresolved issues with her.”
Her explanation struck me as glaringly obvious. That same night, I didn’t have the dream—and I never did again.
Was it pop psychology? Was it true? I don’t know. All I know is that the explanation worked for me, and it solved the problem.